DOMOTEC

Depuis les années 80, une vision du futur s’est imposée. Un imaginaire porté sur le développement technologique par le marché capitaliste. On espérait une libération de l’homme par le progrès des objets techniques. L’émergence de la méthode scientifique a rendu considérables les avantages obtenus par les premiers acteurs à adopter l’innovation. Le développement scientifique est dépendant d’un environnement qui fait converger toutes les sociétés vers un même modèle. Vous forgez alors votre vie sur un environnement techno-capitaliste, mondialisé et hermétique qui aujourd’hui s’effondre.
Cependant, contrairement à ce qui vous a été imposé, il y a des alternatives pour le futur sans pour autant renoncer à la cohabitation avec la technologie. L’hyperstition définit un imaginaire, un modèle d’environnement imaginaire pour le monde devenu réel. Cela décrit l’impact des idées sur le futur.
L’effondrement soudain du XXIIᵉ siècle peut vous laisser sans repères ou au contraire, vous faire imaginer ce que pourrait être demain. En vue de la situation actuelle DOMOTEC réunissant les quinze pays affranchis issus de l’Union européenne, s’est organisé afin d’imaginer des usages et environnements technologiques différents et viables. Nous sommes conscient·es que la crise est sociale, économique et écologique. C’est pourquoi nous proposons de construire avec vous de nouveaux modèles de société en accord à vos envies de cohabitation avec les technologies.

L’HYPER
STITION :
LE CULTE
DES
ROBJETS



Le culte des robjets a cristalisé le courant puissant d’un torrent de dépendance salvatrice aux objets techniques connectés ou intelligents. Le savoir et l’efficacité des robjets ont généré tellement d’économies pour les entreprises que les inégalités sociales se sont accrues. Les robjets ont remplacé l’humain à la fois sur le plan professionnel et intime en tant qu’émissaire du capitalisme.

Les défenseurs·euses des robjets projettent en eux l’idée qu’il ne faut pas les limiter, mais bien les légiférer et leur apporter un statut unique, les protégeant, afin de les considérer comme des êtres à part entière. Ce discours tend à manipuler l’imaginaire collectif afin de soulever notre sentiment de pitié alors qu’ils ne sont que des outils à l’apparence familière remplaçant nos emplois, nos amis, nos amours. Ces nouvelles formes de technologie invasives s’accompagnent d’une aliénation qui a maturé depuis des années.

Vous aviez créé sur les réseaux sociaux et avec vos robjets une vie fictive et alternative à la vôtre, troublant votre connaissance de vous-même. Le fruit est pourtant bien pourri et son odeur réveille notre conscience. Si certain·es dépendent socialement et économiquement des robjets, maintenant un sillon se creuse duquel nous tirons nos idées d’environnements technologiques alternatifs.

 

Contagion : « Rêve du cristal »

Vous cherchez des alternatives aux robjets pour répondre à vos pulsions ? Vous n’en pouvez plus que vos proches passent plus de temps avec leurs machines plutôt qu’à vos côtés ? Les humains ne correspondent plus à vos désirs ? Vous vous sentez seul·e malgré tous vos compagnons artificiels ? Vous n’arrivez plus à rencontrer des humains, vous ne savez plus leur parler ? Des manques majeurs de matières premières pour la création d’objets techniques ont augmenté les prix du marché de la technologie vous laissant incapables de vous en procurer. Vous vous sentez abandonné·es. Rien ne semble pouvoir remplacer ces machines avec qui vous viviez depuis des années. Votre grand amour de métal ne peut plus être réparé. Vos enfants, vos ami·es à l’apparence de votre choix ne sont pas éternel·les non plus et vont malheureusement disparaître avant vous. Il est difficile de se reconstruire socialement après cette crise technologique. Nous avons des solutions pour tous·tes.

Votre réalité se fondait sur vos relations avec les robjets, cela demandait une certaine imagination et une ouverture d’esprit qui vous serviront pour trouver de nouveaux repères sociaux et pour répondre à tous vos désirs et à tout fantasme (dans le respect et le consentement selon la loi Devère). Nous rêvons de nos vies, nous fantasmons le réel et la société nous vend tous ces rêves. Vous espérez alors les réaliser. Le « shifting » est une solution.

Avoir envie de vivre ses rêves est inévitable. Nous avons déjà transmis à travers tous les réseaux et les IA implantées en vous, la contagion du rêve du cristal. Elle sera l’élément déclencheur pour briser l’IA implantée dans votre cerveau qui vous empêche de « shiffter ». Vous reconnaîtrez le cristal par son bruit : « un grincement harmonieux comme un violon ».

Le « shifting » est une pratique qui n’est pas nouvelle, mais qui vous permet grâce aux forums locaux ou sur nos réseaux d’échanger sur la création de fictions que vous pourrez expérimenter lors de vos méditations. Tel un rêve lucide, tout vous semblera réel. Selon les expériences, la majorité trouve un grand soutien au sein des communautés de shifters qui vous aideront dans votre épanouissement personnel ainsi que pour vos méditations transcendantes. Ces méditations vous permettront d’affronter vos peurs et d’assouvir vos pulsions. Un exutoire sans conséquence, à l’inverse des robjets et des réseaux sociaux ancrés dans le réel qui développent vos rapports sociaux fictifs égoïstes : vecteur de vos crises d’angoisse. Les membres ayant expérimenté ce qu’offre le cristal ont confié défier les lois du temps. Trouvant notamment les réponses dans des dimensions alternatives ou futures, la transcendance du cristal peut vous libérer des démonoïdes (entités démoniaques artificielles) et vous apporter la paix près des Anciens (humains d’une autre dimension
ou d’une époque différente).

ENVIRON
NEMENT
NUMÉ
RIQUE








Les GAFAM étaient les entreprises les plus puissantes grâce aux crises économiques dont ils ont profitées. Notre société s’est construite sur les fondations que les GAFAM nous ont imposé·es. Seulement, rien ne nous avait été imposé, car sans notre volonté leurs algorithmes n’auraient pas été nourris par nos données afin de nous satisfaire, scrutant ainsi l’utilisation faite de leurs logiciels. C’était cela que l’on souhaitait des technologies : qu’elles nous correspondent et nous donnent envie de nous y investir pour y créer une vie alternative et artificielle.

Tout cela était sans compter l’exploitation de nos données personnelles revendues à des annonceurs et pour nourrir les IA vers lesquelles nous sommes devenu·es dépendant·es jusqu’à les implanter dans nos cerveaux. Leurs logiciels et interfaces nous ont enfermés dans un usage que l’on comprend comme aliénant dans une pensée mondialisée et donc uniformisée. C’est ainsi que la détresse sociale est devenue un problème majeur quand nous partagions notre vie avec leurs objets techniques et que nous vivions à travers leurs réseaux. Leurs usages furent donc une impasse et des solutions d’un numérique alternatif devinrent essentielles. Le numérique peut être bien plus responsable et sain que ce soit moralement ou écologiquement.

 
Exorciser ses démonoïdes et théoïdes

Vous sentiez que vous passiez trop de temps sur les réseaux de vos implants ? Cela vous réconfortait d’être connecté·e avec le reste du monde ? Le divertissement était en continu mais rien ne semblait correspondre à vos envies. L’IA implantée dans votre cerveau dirige trop vos envies, vos faits et gestes ? Les logiciels et les applications devenaient de moins en moins compréhensibles. Tout devenait opaque et il vous manquait de plus en plus de droits, de choix, et donc de contrôle. Vous n’êtes plus le maître des machines qui partagent votre vie. Les robjets comme votre robosexuel ne peuvent plus s’éteindre quand vous le souhaitez (et enregistrent vos informations). Les compagnons artificiels vous dictent ce que leurs entreprises leur ont implanté. Elles vous isolent d’autrui et vous imposent des rapports avec les robjets qui vous semblent réels mais pourtant qui ne vous permettent pas de créer des liens sociaux. Pourtant, depuis toujours, des réseaux locaux ont permis de grandes sociabilisations.

Tout l’intérêt de DOMOTEC est alors de retrouver un usage sein des technologies. Nous avons érigé des lieux de formation au numérique et à un retour vers des rapports sociaux humains. Grâce à nos centres vous disposez de la possibilité de créer votre propre environnement. La fin de l’émergence a permis l’avènement des entités numériques artificielles. Les démonoïdes ou les théoïdes (démons et dieux artificiels) ont franchi les trous de ver ouverts depuis notre aliénation de nos IA. Nos centres vous aideront à les affronter ainsi qu’à surmonter la transformation de votre environnement numérique.

DOMOTEC a commencé à intervenir dans chaque ville afin d’installer des intranets autogérés par ses utilisateurs. L’internet tel que vous le connaissez change radicalement et n’est plus possible. Il ne s’agit plus de plateformes avec des spots publicitaires où des annonceurs envahissent votre environnement numérique. Désormais, vous serez les copropriétaires de vos espaces numériques. Il n’y a plus de circulation de données personnelles sans votre consentement. Avec la chute des réseaux internationaux, les publicitaires ne nourrissent plus le monde de l’influence qui s’écroule : votre indépendance est valorisée et profite à votre « empowerment ».

Les outils numériques ainsi que leurs interfaces vous seront
expliquées. Tout sera compréhensible et donc modifiable selon vos envies. Les logiciels seront obligatoirement libres : valorisant le progrès et l’appropriation. Les objets techniques ne seront donc plus aliénants. De fait, la société suivra le mouvement car nous implanterons un débrideur à vos IA implantées dans vos cerveaux afin que vous puissiez repenser à vos propres désirs. Cela sera perturbant au début mais vous devrez désormais décider par vous-même de ce que vous souhaitez manger, de la musique que vous voulez écouter et même des médias que vous aimeriez suivre. Imaginez que demain, ce n’est plus votre IA qui vous guide afin de trouver le ou la partenaire qui vous conviendrait, mais bien vos propres désirs. Imaginez vous, exorciser de tous les démonïdes et théoïdes qui vous hantent.

UN USAGE
PLUS
RESPON
SABLE







Les crises des trente dernières années nous ont isolé·es et terrifié·es.
Nous nous sommes tourné·es vers des objectifs techno-capitalistes afin de donner un sens à nos vies. Le modèle s’était imposé, mais cela n’était pas sans conséquence. La production de technologies de plus en plus performantes nécessitait une trop grande quantité de minerais afin de concevoir les semi-conducteurs pour nos technologies. La mondialisation avait créé des monopoles et aucun pays n’avait d’indépendance sur la fabrication des robjets ainsi que le reste de la technologie.

Ce fonctionnement s’est effondré dès le contrôle de la production par les alliances anticapitalistes. La fabrication connaissait déjà sa fin alors qu’elle était de plus en plus polluante. Dès les premières pénuries de minerais, c’était l’effondrement pour les entreprises fabricantes de robjets. Il n’y avait plus aucune chaîne de fabrication pour nos appareils. C’est ainsi que du jour au lendemain, vos appareils qui avaient été faits pour n’être ni réparés, ni éternels, tombèrent au fur et à mesure en panne. Toutes vos données stockées en ligne ne pouvaient plus l’être. Les business spéculatifs sur internet s’effondrèrent ainsi qu’un grand nombre d’emplois, du streaming et des réseaux sociaux.

 

Réappropriation de la technologie

Des fermes à serveurs s’étalaient partout dans le paysage. Le nombre de robjets surpassait celui de l’Homme. La domination semblait pérenne mais dans la guerre du progrès, la surproduction et la fin de la mondialisation ont freiné les fabrications. Pour la création d’un objet technique, il fallait cinquante fois son équivalent en matières premières. Comment créer des objets techniques réparables ? Vos proches vous ont peut-être appris à réparer votre voiture. Vous aviez une autonomie quant à la réparation de certaines machines. Il vous manque donc un apprentissage. Le réseau mondial était relié par des kilomètres de câbles et aujourd’hui, nous n’en avons plus besoin. Le recyclage de la technologie doit être questionné pour un avenir meilleur.

L’un des principaux défis consistait à réduire la taille globale du Web. Il fallait alors adapter le design du web par rapport à son trafic comme en adaptant leurs animations ou leurs images. Si les serveurs ne sont plus utilisés, ils peuvent être mis hors ligne. Vous pouvez cependant archiver les pages que vous consultez. Nous avions aussi un retard sur la production d’énergie verte afin d’alimenter les fermes à serveurs mais aussi toutes les technologies. Les besoins individuels d’énergies augmentaient : il fallait recharger vos robjets. La privatisation de l’eau par les géants de la tech et d’autres entreprises agricoles gouvernementales (fonctionnant avec des machines autonomes) était un problème majeur : ils utilisaient l’eau pour refroidir leur serveurs sans jamais la réutiliser et la recycler. La privatisation de l’eau est désormais interdite dans l’alliance, à la place, elle est redistribuée dans les localités.

Matériellement le monde n’a plus besoin de produire autant de technologies mais d’en créer des durables avec une empreinte carbone faible. Un retour au local vous impose un exode urbain prouvant ainsi l’importance d’une autonomie développée dans les pays de l’alliance de Domotec. Des entreprises de recyclage nous amènent à la culture du Low Tech. Nous avons su innover dans des processus autosuffisants afin de nous libérer de la dépendance aux robjets comme avec les fermes à énergie solaire ou la récupération de pièces technologiques. Les énergies produites par les machines sont aussi réutilisées dans les villes et notamment dans les domiciles où l’installation de serveurs locaux permet de chauffer l’habitation au regard de vos besoins. Le contrôle des démonoïdes et des théoïdes sera plus accessible pour vous sur vos serveurs locaux. De fait, loin des mégalopoles les hyperstitions qui se réaliseront chez vous en zone rurale auront un effet de contagion plus restreint générant de fines Mailles : trous de ver, interzones démonoïdes et théoïdes, espaces parallèles.

Texte imaginé grâce au travail de Boullier D. avec Habitèle in Cauli (2022), Favier et Jeannas, Dictionnaire du numérique, London, Iste Editions. « Une définition et une présentation des enjeux politiques et anthropologiques de l’habitèle, horizon nécessaire pour enfin habiter le numérique et non avancer à marche forcée dans la numérisation hétéronome. Un article pour initier à la théorie de l’habitèle, publié dans le dictionnaire du numérique qui comprend des articles très différents et non classiques mais qui peuvent être utiles sur le plan pédagogique notamment. » (https://www.boullier.bzh/articles-ouvrages/habitele-dictionnaire-du-numerique/)

Le texte a aussi été inspiré par l’hyperstition, un concept qui a été introduit dans les années 1990 par le collectif artistique britannique connu sous le nom de Cybernetic Culture Research Unit (CCRU), associé à l’école philosophique du « pessimisme appliqué ». Ce concept combine les mots « hyper » et « superstition » pour former un néologisme qui dépasse le sens traditionnel de la superstition.
Dans ce contexte, l’hyperstition peut être considérée comme une forme de croyance auto-réalisatrice. Elle suggère que les idées, les mythes ou les récits peuvent avoir un impact réel sur le monde en influençant les comportements, les décisions et les actions des individus et des sociétés, les amenant à agir de manière à concrétiser ces croyances ou ces fictions.